L'art est partout, même en vacances
Cette semaine, à moitié off, ne m'a pas empêché de voir de la création contemporaine même sans (quasi) avoir mis les pieds dans un musée.
Deuxième semaine de cette newsletter ! Et avant toute chose, merci à tous et à toutes pour vos abonnements, et pour les retours que j’ai pu recevoir. Comme je l’ai écrit la semaine dernière, jusqu’à la rentrée (et même au-delà), je vais creuser des pistes, expérimenter des choses… et ici profiter de mes vacances d’été pour essayer de vous parler d’art autrement !
Cela étant, et parce que la radio c’est la vie même l’été, je ne peux que vous inviter à écouter tout l’été la chronique des Festivals de l’été dans la matinale de France Inter ; où mes collègues du service Culture et écrans de la radio et moi-même vous emmenons chaque matin dans un bel évènement culturel à découvrir ! Toutes les chroniques sont à retrouver ici.
Avignon, ville de théâtre… et d’art contemporain
Et on commence avec un paradoxe : on irait dans une ville de théâtre pour… voir une expo d’art contemporain ? Oui messieurs-dames. Car cet été (et même un peu plus, jusqu’au mois de janvier prochain), l’artiste Jean-Michel Othoniel intervient dans un certain nombre de lieux d’art et de culture de la ville d’Avignon. Pas un, pas deux… DIX. Cosmos ou les fantômes de l’amour, c’est le nom de cette expo, se déploie au total dans dix lieux, tantôt un musée entier, tantôt une simple intervention dans l’espace public (comme sur le pont d’Avignon, vous savez, celui où on y danse tous en rond).









Jean-Michel Othoniel, vous le connaissez à coup sûr si vous êtes déjà sortis du métro parisien au Palais Royal : c’est à lui qu’on doit cette originale entrée de métro ornée de perles colorées. Depuis plusieurs décennies, il déploie un œuvre* dont les éléments de langage principaux sont les perles et les briques, et qui joue sur deux tableaux, d’une part un travail très référencé qui fait écho aussi bien à la science qu’à la littérature, et d’autre part une vraie expérience esthétique qui fait que face à la découverte d’une* de ses œuvres, difficile de ne pas être touché avant tout par la beauté de ce qu’il fait (sauf si vous ne trouvez pas ça beau, et je ne serai pas d’accord avec vous, mais c’est votre droit).
À Avignon, il travaille donc autant dans des lieux historiques comme le Palais des Papes, qu’il peuple de ses œuvres (sans pour autant faire une rétrospective) qu’à la Collection Lambert, où il a entrepris une démarche très touchante, celle d’installer ses œuvres en regard de celles d’artistes minimalistes, comme Donald Judd ou Cy Twombly. Entendre un artiste parler avec émotion de ces pairs qu’il a “rencontrés” artistiquement quand il avait six ans, ça a quelque chose de poignant.
La visite a par ailleurs été pour moi l’occasion de rencontrer Jean-Michel Othoniel, et j’ai été très agréablement surpris par son accessibilité et surtout, son humilité. Entendre l’un des artistes contemporains les plus reconnus du pays dire qu’il a travaillé pendant deux ans d’arrache-pied, avec tout son studio, sur cette expo, et qu’il a lui-même des doutes sur le fait que les festivaliers, qui courent d’une pièce de théâtre à l’autre, auront envie de s’arrêter devant ses oeuvres, je vous assure, ça impose une forme de respect.
*Instant snobisme : le saviez-vous, on dit “une” œuvre quand on parle d’un tableau, une sculpture, bref, une pièce, mais “un” œuvre quand on désigne l’intégralité du travail d’un ou une artiste dans sa carrière ! Voilà, vous pourrez placer ça dans vos soirées mondaines.
La magie de Chaumont-sur-Loire
Après une rencontre, une autre : toujours dans le cadre d’un reportage, j’ai eu l’occasion de visiter le domaine de Chaumont-sur-Loire, situé au coeur du Loir-et-Cher, département cher (vous l’avez ?) à Michel Delpech*. Le domaine est connu pour héberger chaque année un festival très couru de jardins, où des paysagistes du monde entier viennent montrer leur savoir-faire. Mais ce n’est pas tout : depuis 2007, c’est aussi un Centre d’art et de nature. C’est à dire que, oui, vous y trouverez de l’art, de la nature, mais surtout de l’art qui parle de la nature et qui s’inspire de la nature.

Et depuis sa création en 2007, ce Centre d’art est dirigé par Chantal Colleu-Dumond, qui fut agrégée de lettres avant de devenir directrice de plusieurs centres culturels à l’étranger et d’arriver ici, à Chaumont. Et si vous cherchez un synonyme de “passionné”, vous pouvez dire “Chantal Colleu-Dumond”. Pendant de longues heures, la directrice des lieux m’a fait visiter le parcours d’oeuvres de cette année (il change chaque année), les oeuvres qui ont pris racine ici et sont devenues plus pérennes, les expositions au coeur du château et les propositions artistiques parfois cachées au détour d’un bosquet. La directrice parle avec passion et affection des artistes qui viennent créer ici, de la mission de l’art, et assume le côté “magique” du lieu.
Car, oui, j’ai ressenti une magie en allant visiter le domaine de Chaumont. Pas de la magie inexpliquée, pas des tours de passe-passe, mais cette magie qui fait qu’à un moment, l’atmosphère qui se dégage d’un lieu et la poésie des oeuvres créées par celles et ceux qui y sont passés créent une rencontre, quelque chose qui suspend le temps et qui fait de cet endroit un lieu à part. Je vous promets que ce ne sont pas des jolis mots pour faire joli : à Chaumont-sur-Loire, on se sent bien, on sent un vrai respect des oeuvres pour la nature environnante et on sent que la nature, elle, a accepté que ces artistes viennent dialoguer avec elle. On en oublierait presque que les artistes montrés ici sont pour certains de grands noms de l’art contemporain : en vrac, Giuseppe Penone, Eva Jospin, Sarkis, Andy Goldsworthy (qui a fait pousser un arbre autour d’une sculpture) ou Gabriel Orozco.
Et parfois, cela crée de belles histoires. Stéphane Guiran et Katarzyna Kot sont venus à Chaumont, chacun de son côté, invités à créer des oeuvres (deux fois pour le premier, une fois la seconde). Et puis… ils s’y sont rencontrés. Alors cette année, ils sont de retour en duo, et ont décidé de créer ensemble une installation autour de la dernière forêt primaire d’Europe.
Une installation vidéo dans laquelle un musicien actionne un xylophone au coeur d’une forêt qui semble nous murmurer des choses. Là encore, la magie, qui a pris entre les deux artistes, prend sur nous.
*Vous ai-je déjà parlé de Radio Michel ? Non ? Ca va finir par arriver.
Un parcours d’art… et pas seulement en France
On arrive sur la partie “vacances” de cette newsletter, il fallait bien qu’on y vienne tout de même ! Au détour de quelques jours de vacances en Italie, j’ai eu la bonne surprise de tomber, sans m’y attendre, sur un équivalent au Voyage à Nantes ou à Un été au Havre dont je vous parlais la semaine dernière : un parcours d’art dans l’espace public au bord du lac de Garde, dans la ville de Sirmione. Ici, la manifestation s’appelle “Petra&Co”, et cette année elle porte sur la thématique de l’identité.
On y croise donc, successivement, un crocodile rose au pied d’un château ancien, une pelote de laine vert fluo géante perchée au-dessus de la terrasse d’un resto, ou - très chouette proposition - un panneau qui vous invite à vous embrasser devant lui (“Kiss Please”).
Et cette bonne surprise m’a montré quelque chose, que les visites et vernissages de ce type d’événement peut avoir tendance à faire oublier : parfois, on vient dans une ville pour une manifestation d’art contemporain, on fait le circuit indiqué, et on bénéficie d’une belle expérience artistique. Et parfois, on tombe dessus sans l’avoir prévu. On ne fait peut-être pas tout le parcours, on se laisse surprendre de temps à autre par une oeuvre que l’on croise pendant une balade. Et est-ce que ce n’est pas une toute aussi belle balade artistique ? Assurément.
Le bonus vidéo de la semaine : Niki de Saint Phalle
En travaillant sur un sujet autour de Niki de Saint-Phalle, je suis retombé sur cette interview de l’époque. Et je tenais absolument à vous la partager en version longue, tant ce que dit l’artiste dans cette interview, tant sa façon de répondre à l’intervieweur un peu campé dans ses clichés, sont à la fois épatants et résonnent dans une époque qui n’a pas totalement répondu aux questions qui se posaient déjà de la même manière dans les années 60.
L’autre bonus vidéo : les expérimentations surprenantes d’Ardisson
Vous ne l’avez pas manqué, le début de la semaine a aussi été marqué par la mort de Thierry Ardisson, le fameux “homme en noir” de la télé, aussi adoré que contesté. On a revu les grands moments de ses émissions cultes, on a aussi beaucoup commenté - et parfois à raison - les dérives et les débordements de ses interviews où la “provocation” semblait autoriser beaucoup, beaucoup de choses.
Mais c’est sur un autre point que je voulais insister, sur le côté défricheur du travail d’Ardisson. Et pour ça, la chaîne Arditube que l’Ina a mise en place est parfaite, avec une playlist de pilotes et d’émissions qui n’ont finalement pas vu le jour. Là-dedans, il y a le pire et le meilleur de l’esprit Ardisson, mais surtout une ambition à la lisière de l’avant-garde télévisuelle.
Et voilà pour cette deuxième ! Une nouvelle fois, merci à vous tous et toutes de suivre cette newsletter, et n’hésitez pas à me faire vos retours… voire vos recommandations, si vous-mêmes vous avez eu des coups de coeur sur des expositions, je serai ravi d’en parler avec vous !